Transition – Agroécologie

Ce n’est pas une news, donc ce sera un peu plus long.

Je viens d’achever la période d’agnelage, pendant laquelle j’ai eu mes premières naissances d’agneaux.

C’est une période éprouvante, car c’était la première fois pour tout le monde. L’année prochaine sera plus simple, car mes brebis pourront apprendre aux jeunes comment faire.

Dans une mise bas, il y a des efforts, de la douleur et ce petit être qui crie la vie, qui ne sait pas téter, et qui appelle. La montée de lait rend les tétines sensibles, et il faut beaucoup d’amour pour laisser son petit prendre son premier lait. Elles s’aident du museau pour positionner l’agneau, voir inclinent le bassin pour guider un être fragile sur ses jambes qui ne semble pas encore voir grand-chose.

La vie, et la mort.
Dans la suite de cette naissance, dans le creux de l’hivers, l’agneau doit prendre rapidement son premier lait, chargé de colostrum, qui lui donnera de l’énergie et les défenses immunitaires pour 3 semaines.

Ma présence n’était pas tout le temps indispensable, mais elle a permis de sauver des vies. D’aider des mises bas qui ne se passaient pas bien, de réchauffer des agneaux qui avaient froids, de donner le premier lait pour qu’ils aient un répit de 4H pour mieux apprendre à téter tout seul.

J’ai eu des morts. Des agneaux (3), et une brebis qui est morte des suites d’une fausse couche. Dans ces moments-là, entre la fatigue qui s’accumule et les émotions qui nous submergent, on fait ce qui doit être fait. On appelle le véto, les amis éleveurs, puis on abrège les souffrances de l’animal condamné.

A la suite de la mort de Clochette, j’ai investi dans un « Matador » (ou pistolet percuteur), qui permet de tuer cérébralement une brebis immédiatement. Cela évite des agonies douloureuses pour tous.

Oui la vie qui s’éveille, fragile. Et la mort, qui n’est pas loin. On n’est peu de choses parfois. Quand le regard s’éteint, même si tous les micro-organismes qui nous constituent, même si les organes fonctionnent encore, le système n’est plus équilibré, et rapidement une autre vie liée à la décomposition survient.

Je suis bouleversé de voir à quel point mon regard sur le monde peut changer. Derrière la viande que je produis, le lait, yaourt, fromage, il y a ce vécu. Ces liens que je tisse avec mes animaux, cet amour partagé.

J’ai écouté avec plaisir et intérêt (comme très souvent) un épisode de podcast de Sismique, animé par Julien DEVAUREIX, dans lequel il avait invité Maxime BLONDEAU.

Dans cet épisode, Maxime BLONDEAU nous parle de cosmographie, de la manière dont nous imaginons le monde qui nous entoure.

Il met en avant la révolution induite par les technologies numériques, qui ont bouleversés notre rapport au monde, car les techniques qui nous apportent des données, et les techniques qui nous permettent d’interagir avec celui-ci ont profondément changés. Les croyances sont impliquées dans la fabrication des outils, et les outils influencent notre manière de penser des solutions.

Quand on cherche la solution à un problème, on a tendance à l’imaginer en prenant en compte les solutions que l’on connait, sur la base des informations que l’on a du problème.

A la fois ces outils permettent une certaine vision globale du système, à la fois ils nous éloignent de la vision physique ultra-locale du monde qui nous entoure. Les réflexions sont donc plus cérébrales que sensorielles.

Par ailleurs nous restons fortement influencer par la hiérarchie de valeurs portées par notre société : pouvoir, succès, argent, reconnaissance… des valeurs qui se basent aussi sur la « gestion » (domination) de l’environnement.

Dans notre réaction à partir de la ville pour un retour à la terre, j’y vois aujourd’hui aussi une réaction à cette coupure informationnelle du vivant autour de nous, et du besoin de ressentir la vie, dans un monde obnubilé par la mort, tisser du lien avec le vivant, vivre les choses localement, en pouvant prendre le temps.