Transition – Agroécologie

Le temps. Cette unité immatérielle qui mesure nos vies qui s’écoulent. Je ne sais pas si j’arriverai à définir un jour tout ce que contient la notion de Temps Long. Le temps du changement, le future long, la contemplation, l’éternel…

Dans ma transition, j’ai mis du temps à comprendre que le métier de paysan était un de ces métiers passion, et un de ces métiers qui change ta vie. Il n’y a plus vraiment de distinction entre vie professionnelle et vie privée, on vit une vie de paysan.

C’est étrange à écrire, car cela ne tombe pas sous le sens. Je pense qu’auparavant, je voyais ma vie comme une somme d’activités. Des activités de loisirs, des activités administratives, logistiques, des activités professionnelles, et j’organisais ma semaine avec toutes ces tâches.

Aujourd’hui, c’est beaucoup plus compliqué. La durée des tâches varie parce que le vivant ne réagit pas de manière constante, parce que la météo est un phénomène essentiel, parce que les priorités fluctuent.

Par exemple lorsque je fabrique du fromage. La durée de fabrication dépend de la température, de la qualité de mon lait, de l’ambiance de ma salle de travail. Chaque fois ces paramètres changent, la durée de prise ou d’acidification, le temps de brassage…

Ou encore, lorsque je rentre les brebis avec Ulys, il peut y avoir des échappées de brebis, des refus de pâture, des soucis de clôture, une boiterie à soigner, une caresse à pourvoir… Je ne peux pas laisser une brebis égarée, ou avec une boiterie. On concilie au mieux les besoins de chacun.

On est surtout obligé de terminer les tâches essentielles de la journée, quelle que soit l’heure de fin.

C’est bientôt, ou déjà la période des foins. Chaque jour, les paysans guettent la météo, et la plage de 4-5 jours consécutifs de soleil et de température chaude pour pouvoir faucher, faner, endainer et presser. C’est toujours important de faire du bon foin. Ce créneau détermine le foin de l’année, et donc la majorité de la nourriture du troupeau hors pâturage.

J’ai une nouvelle vie de paysan, que je découvre encore (et pour quelques temps). Cette vie est riche et variée, mais ne me laisse pour le moment que peu de place au repos et aux séjours hors de la ferme. Mes enfants préparent leur planning des grandes vacances dont je serai le grand absent. Je garderai les brebis, le chien, le chat, le cheval, les rats, les poules…la ferme quoi !! 🐎🐑🐕🐓🐀🐈‍⬛🚜

Surtout que pendant la période « estivale », les touristes viennent se faire plaisir (dépenser leur argent) sur les marchés de producteurs… Donc une période commerciale importante.

Je réalise aussi, ô combien, la production de nourriture nécessite du travail, dont consommateurs n’ont pas mesure.

On entretient les prairies, les haies, les clôtures. On soigne et nourrit des animaux dont on fait la traite tous les jours sur une période de l’année. Pour transformer en suivant le lait en fromage ou yaourt. Qu’il faut stocker, affiner, puis vendre….

Sur mes premiers marchés, j’arrive à vendre environ 150-200 euros de fromage et cela me prend environ 6h, entre le chargement, la vente et le rangement. Et cela ne correspond qu’à la vente, pas à toutes les heures passées auparavant. Certains avocats se font payer 500 euros de l’heure !! On ne valorise pas les savoirs de la même façon. 😎

Certaines personnes vont trouver que le fromage fermier est cher, car si on le compare à un fromage industriel, le prix de revient est radicalement différent, et pourtant les paysans sont faiblement rémunérés des heures qu’ils font, des investissements nécessaires, et des risques / responsabilités supportés par leur activité. Un manque de concentration sur un tracteur, et c’est plusieurs milliers d’euros de réparation, une vanne ouverte c’est une traite épandue sur le sol, une porte mal fermée un stock de produit qui dépasse la température autorisée…. Les exemples (malheureusement) ne manquent pas.

Avec tout ça, je n’ai aucun regret.

Je reprends racine dans la terre et le présent. Le monde à venir, je souhaite participer à le construire.